Ou comment le foot et la pub aident l’Allemagne à se réapproprier les symboles de l’unité nationale.
.
Ils préféraient se présenter comme bavarois, rhénans, européens, citoyens d’un monde globalisé… La culture pop américaine était leur refrain. Ils rejetaient ostensiblement leurs symboles : hymne, drapeau, toute référence patriotique rappelant d’un millimètre la dérive nazie. Aujourd’hui, les Allemands osent se sentir fier de leur pays. « Nous avons vécu un changement de mentalités significatif et durable », assure Matthias Matussek, chef de la rubrique culturelle du Spiegel et auteur d’un livre sur la renaissance du sentiment national (Wir Deutschen). « Quand j’étais jeune, on n’aimait pas se dire allemand alors qu’aujourd’hui on se redécouvre une nouvelle identité, plus libre et plus ouverte », explique-t-il.
Ce virage n’est pas allé de soi. En 2006, le pays, déprimé, est empêtré dans une atmosphère d’auto-dénigrement. Une vingtaine de médias décide alors de lancer une campagne pour encourager les Allemands à s’identifier davantage à leur pays. « Du bist Deutschland », un spot de télévision de deux minutes diffusé sur toutes les chaînes de télévision, valorise les valeurs positives de l’Allemagne. « Rappelle-toi que nous avons déjà ensemble abattu un mur. Nous sommes 82 millions. Tu es la main. Tu es 82 millions. Tu es l’Allemagne », peut-on y entendre. « Certains se sont moqués de cette initiative, mais ce fut un succès qui a contribué à changer les mentalités », affirme Matussek.
Mais c’est surtout la coupe du monde en 2006 qui signe le déclic de cette fierté retrouvée. Pendant plus d’un mois, aux yeux du monde ébahi, les supporters allemands n’en finissent plus d’exhiber leur drapeau. Sur la tête, autour de la taille, accroché aux fenêtres et aux balcons, l’étendard rouge, noir et or est omniprésent. Les magasins sont littéralement en rupture de stock. Toujours soucieux de ne pas franchir la ligne rouge, les Allemands inventent l’expression de « patriotisme positif ». Plus de soixante ans après la chute du IIIe Reich, l’Allemagne n’a pas fini de s’interroger sur sa légitimité à s’aimer. Et cette affirmation de soi n’est pas du goût de tous. L’hymne, repris en chœur dans les stades après des années d’omerta, en fait frémir plus d’un.
Le chant patriotique composé par Haydn a en effet laissé de sombres souvenirs. Hitler aimait conclure ses discours par la formule « Deutschland Deutschland über alles », référence à la grande Allemagne, que l’on retrouve dans le premier couplet. Il est interdit de le chanter depuis la création de la RFA, en 1949. Seul le troisième couplet, jamais repris sous le régime nazi, peut aujourd’hui être entonné. Beaucoup lui trouvent encore des accents trop nationalistes et lors du Mondial, des associations demandèrent au gouvernement d’en choisir un nouveau. L’initiative resta lettre morte.
Le pli est pris. Et la fierté nationale n’est plus l’apanage des néonazis. A question toutefois de rester dans les bornes définies par l’ancien président Richard von Weizäcker : «Le patriotisme, c'est aimer les siens, le nationalisme, c'est détester les autres. »
.
Marie de Vergès dans la La Gazette de Berlin
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.