Article dans Le Monde du 3.8.2011: Pour un Français, la politesse allemande a un côté contre-intuitif. Quand vous êtes en Allemagne, ne dites pas "Auriez-vous, s'il vous plaît, l'amabilité de bien vouloir ouvrir la fenêtre ?", mais "On peut ouvrir la fenêtre ?", sans plus de cérémonie. Si vous êtes invité à une réception à laquelle vous ne comptez pas vous rendre, ne dites pas "Oui, je passerai peut-être", mais "Non, je ne viendrai pas".
Oubliez vos bonnes manières, vos précautions d'usage, vos circonlocutions. Au mieux, elles seront considérées avec suspicion ; au pire, elles vexeront franchement votre interlocuteur. Car pour un Allemand, la véritable politesse, c'est dire la vérité toute nue, quelles qu'en soient les conséquences. Le petit mensonge, cet arrangement avec la vérité bien pratique pour éviter de dire ou d'entendre des choses réputées désagréables en France, est rigoureusement proscrit au-delà du Rhin. "La "zone de confort", l'espace entre la vérité et le mensonge, est très réduite en Allemagne", confirme Pamela Stenzel, consultante en affaires franco-allemandes.
Cette attitude a un nom : Ehrlichkeit, une sorte de sésame pour comprendre l'âme allemande. Le mot Ehrlichkeit est souvent traduit en français par "sincérité" ou "authenticité", mais ses ramifications sémantiques vont très loin, elles s'appliquent presque à tous les aspects de la vie quotidienne. "Etre sincère, c'est être direct, confirme Richard Pinot, cadre chez Siemens. Pour un Allemand, si quelqu'un n'est pas direct dans sa façon de s'exprimer, c'est qu'il a tendance à cacher quelque chose. Il faut éviter la fausse modestie, ou l'emballage. Tout ce qui est un peu trop poli ne sera pas compris. Le Français ne veut pas déplaire, l'Allemand veut que les choses soient claires. Les nuances et les finesses, si elles ne sont pas indispensables, sont à bannir."