Extrait du newsletter de l'Observaoire du plurilinguisme: Le propre de l'esprit scientifique selon la célèbre formule de Gaston Bachelard, c'est de mettre au jour des connaissances qui vont à l'encontre du sens commun, ce qui signifie que l'esprit scientifique n'est pas un privilège des sciences exactes, ni même des sciences en général et devrait habiter tout un chacun. Voyons ce qu'il en est des lieux communs dans notre domaine.
La langue est un outil de communication
C'est vrai dans la mesure où pour échanger des informations, on a besoin d'une langue. Mais réduire la langue à un outil de communication, comme nous y invite le sens commun, largement pratiqué dans les médias et par les hommes politiques, est évidemment faux. La langue est l'outil de communication par excellence, mais elle n'est pas que cela, elle est beaucoup plus que cela. La langue est le moyen d'expression de la pensée et des sentiments, elle est organisatrice de la pensée dans le temps et dans l'espace. Elle n'est pas la pensée, mais elle est dans une relation d'interaction permanente de construction parallèle du langage et de la pensée.
Quand Wittgenstein dit « Ma langue est la limite de mon monde », il souligne le caractère indépassable de la langue.
Mais la langue n'est pas une quantité fixe de mots et de règles de grammaire. Une seule langue est à elle seule un monde quasi infini. Les limites sont celles de chacun, car Wittgenstein dit « ma langue » et non « la langue », et donc si je veux élargir « mon monde », je dois agrandir « ma langue ».
C'est la raison pour laquelle la langue est la base de tous les enseignements. Et c'est la raison pour laquelle la lecture et l'écriture sont si importantes à l'école.
Mais « ma langue » peut être plusieurs.
Et c'est là où les choses deviennent très intéressantes, car avoir plus d'une langue donne accès à plus d'un monde. En fait, maîtriser plusieurs langues, c'est comme voir le monde en relief ou en 3D.
Le livre que Heinz Wismann publie cette semaine porte le titre énigmatique mais profond Penser entre les langues. Si les langues étaient de nature à exprimer toutes la même chose, le même monde, une seule suffirait. Il n'en est rien heureusement. Et ce qui importe ce n'est pas seulement ce qui unit et qui fait que les langues peuvent plus ou moins se ressembler, mais c'est justement la distance entre les langues. C'est un formidable levier pour la pensée. Pour François Rastier « penser la diversité" devrait être l'enjeu principal des sciences de la culture. C'est aussi la clé de toute éducation plurilingue et interculturelle.
C'est en effet une certitude scientifiquement démontrée et qui justifie l'évolution de l'ensemble des systèmes d'enseignement européens depuis vingt ans vers un enseignement des langues semi-précoce dès l'école élémentaire, voire dès l'école maternelle.
Mais il s'agit non pas d'enseignement précoce mais semi-précoce, après cinq ans.
Il faut de plus, pour que le résultat soit au rendez-vous, que des moyens appropriés soient mis en œuvre. Nous verrons dans quelques années si le passage du stade expérimental à l'enseignement de masse donne les résultats attendus. Pour l'instant, nous n'avons encore aucun moyen d'études comparatif systématique au niveau européen pour permettre de contrôler l'effet de ces politiques (voir article plus bas) et si l'on s'en tient à l'étude ESOL présentée en mars 2011 (cf. Lettre N°43) et à la seule étude disponible en France sur le sujet (cf. notre lettre N°45), on devrait en conclure que l'effet est nul ou négatif. Le seul résultat avéré a été d'imposer partout l'anglais comme première langue étrangère de manière quasi exclusive.
Du coup, on tend à oublier qu'on apprend très bien les langues vivantes à l'âge adulte. A une condition toutefois, qui est celle d'avoir bien assimilé les structures de la langue. Heinz Wismann explique qu'il a pu apprendre rapidement le français à 20 ans grâce au latin.
Conclusion : il n'y a pas d'âge pour apprendre les langues, et le minimum que doive apporter un système d'enseignement, outre un apprentissage suffisant en au moins deux langues étrangères, c'est de donner les moyens d'en apprendre toute sa vie en fonction des circonstances.
Cela aussi est un enjeu de l'éducation plurilingue et interculturelle.
Il faut d'abord connaître sa propre langue avant d'en apprendre une autre
C'est vrai en gros, mais il faut s'entendre sur ce que peut vouloir dire « connaître sa langue ». Si l'on place la barre trop haut, on risque de retarder à l'excès l'apprentissage des langues étrangères, alors que cet apprentissage peut et doit également avoir des effets bénéfiques pour l'apprentissage de la langue maternelle. Il n'en reste pas moins que l'apprentissage de la langue maternelle ou langue "première" ou langue "d'enseignement" est tout à fait essentiel et il est illusoire de prétendre apprendre les langues étrangères sans maîtrise suffisante de cette langue. Lorsque langue maternelle et langue d'enseignement diffère, la question est plus complexe, mais la problématique fondamentale demeure. C'est la raison pour laquelle maîtriser la lecture avant d'entrer au collège est essentiel et devrait être l'obsession de tous les ministres de l'éducation.
L'anglais suffit
Évidemment non. Une étude menée en 2011 dans le cadre du programme CELAN (dont l'OEP est partenaire) auprès de 500 entreprises dans une dizaine de pays européens fait apparaître que 80 % des entreprises interrogées considèrent très important d'être compétent dans une autre langue européenne et notamment la langue du voisin, c'est-à-dire les langues des pays avec lesquelles elles entretiennent la majorité de leurs relations commerciales.
Néanmoins, les mythes ont la vie dure et quand certaines personnes, parfois des ministres de l'éducation, parlent d'apprentissage des langues étrangères, ils pensent en fait très souvent apprentissage de l'anglais.
« L'anglais ne suffit pas », c'était le slogan préféré de Léonard Orban, ancien commissaire européen chargé du multilinguisme.
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