Tant bien que mal, chacun d'entre nous s'efforce de donner du sens à ses actes et à ses pensées tout au long de son existence. Un psychologue hongrois donne des pistes pour y parvenir:
« Une fois assuré le minimum, le confort matériel a très peu d'incidence sur le bonheur ou la satisfaction personnelle », assure d'entrée Mihaly Csikszentmihalyi dans une interview donnée à « L'Actualité » de Montréal. « S'il est en sécurité et mange à sa faim, un habitant du tiers-monde a grosso modo le même niveau de contentement qu'un Japonais ou un Canadien. Et les gagnants du loto, après un sursaut de satisfaction qui dure un an ou deux, ne sont pas plus heureux qu'ils ne l'étaient avant. »; Ainsi parle Mihaly Csikszentmihalyi qui a inventé le concept du "flot" ("flow", en anglais), cet état mental dans lequel nous nous trouvons lorsque nous sommes absorbés par une tâche de telle façon que nous ne sentons plus le temps passer et que nous sommes envahis par une intense satisfaction.
Depuis une trentaine d'années, ce psychologue, ainsi que son confrère Martin Seligman, ont interrogé des milliers de personnes d'une centaine de pays sur leur niveau de satisfaction personnelle. Conclusion : « Ce n'est pas devant la télé, en mangeant du gâteau ou en se prélassant à bord d'un paquebot de luxe qu'on est le plus heureux. C'est quand on est occupé à une tâche qui sollicite au maximum nos forces et nos talents. » C'est donc lorsque l'on se trouve dans cet état de "flot" où nous oublions nos problèmes, le temps qui passe et qui nous entoure. Mais comment provoquer le "flot" ? « En s'assignant une tâche juste assez difficile pour qu'elle requière toutes nos capacités et toute notre attention », répond Mihaly Csikszentmihalyi. De plus, le profond sentiment de satisfaction qui en résulte crée vite une dépendance : on se sent si bien qu'on essaie de retrouver cet état le plus souvent possible. « D'une fois à l'autre, on finit par apprendre, par développer son domaine de compétence. On progresse ainsi d'un but à l'autre, dans une complexité grandissante, comme le tennisman ou le joueur d'échecs qui, à mesure qu'ils perfectionnent leur jeu, ont besoin de défis de plus en plus grands. »
Pour autant, un haut niveau de satisfaction ne peut être le seul ingrédient d'une vie réussie. Mihaly Csikszentmihalyi rappelle que, dans ses recherches sur ce qui rend les gens heureux, Martin Seligman en est venu à distinguer ce qu'il appelle « la vie agréable »; (qui procure autant d'émotions plaisantes que possible) et « la bonne vie », celle dont la personne retire beaucoup de satisfaction en utilisant au mieux ses forces et ses talents. Mais il parle également de « la vie qui a un sens ». « Celle-là consiste à mettre ses compétences au service d'une cause plus grande que ses seuls intérêts personnels », affirme le psychologue. Les études de Seligman et les siennes en arrivent à la même conclusion : « La meilleure façon d'être durablement heureux reste de développer ses forces et ses talents au maximum, tout en se sentant lié à son milieu et responsable du monde dans lequel on vit. »;
Cette dernière affirmation fait allusion à tout un champ de recherche actuel dans le domaine des sciences qui intéresse particulièrement Mihaly Csikszentmihalyi. « Des biologistes évolutionnistes étudient la génétique de la coopération, les avantages évolutifs que récolte une espèce dont les membres apprennent à collaborer entre eux. Ces scientifiques revoient Darwin. Pour simplifier, disons que dans un groupe où les gens ne se préoccupent que de la survie de leurs propres gènes, c'est le plus compétitif qui l'emportera. Dans un groupe qui pratique la coopération, c'est encore le plus compétitif qui sera dominant, mais l'ensemble de la communauté prospérera également. » D'après le chercheur, cette idée, en fait assez simple, a été perdue de vue en raison de notre façon très individualiste de comprendre l'évolution et la survie. Mais, dit-il, « je crois profondément que les gens qui échappent à la solitude de leur destin individuel sont ceux qui développent au maximum leur originalité et leur identité intrinsèque, mais qui, en même temps, se sentent profondément liés au destin de l'univers et de l'humanité ».
source: Elisabeth Berthou, Courrier international 11-08-2003
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